Grands-parents de bébés allaités

Grands-parents de bébés allaités

Le premier enfant qui arrive dans une famille transforme le couple en parents. S’il est le premier petit-enfant, il transforme aussi les parents de ses parents en grands-parents. Que se passe-t-il si ce bébé est allaité et plus généralement bénéficie de ce qu’on appelle aujourd’hui un maternage « proximal » ? Comment le vivent les grands-parents qui, pour la plupart, n’ont pas eu les mêmes pratiques ? Comment le vivent les parents qui, du coup, peuvent se sentir incompris, voire critiqués ?

Conflits autour de l’enfant

Depuis toujours (et c’est encore vrai dans beaucoup de parties du monde), la transmission des méthodes de puériculture se faisait d’une génération à l’autre, de mère à fille : on faisait comme avait fait sa mère, comme avait fait sa grand-mère, parce que c’était la tradition, parce que « c’est comme ça qu’on fait ».
Dans l’Occident moderne, c’est un peu l’inverse : beaucoup de nouveaux parents ne veulent justement pas faire comme a fait la mère ou la belle-mère, et prennent le contre-pied.
D’autant que les « consignes » des « experts » en puériculture ont, au cours du 20e siècle, régulièrement changé (1). Et que ces « professionnels des bébés » ont systématiquement tapé sur les grands-mères, dévalorisé leurs pratiques présentées comme archaïques, ridicules, voire dangereuses. Pratiques qui, comme le font remarquer avec justesse Delaisi de Parseval et Lallemand, étaient bien souvent celles prônées par les « experts » de la génération précédente…
Aujourd’hui où se répandent de plus en plus des pratiques inspirées d’un maternage proximal, peu connues voire décriées par les générations précédentes, le conflit peut être particulièrement vif entre nouveaux parents et grands-parents au sujet des méthodes éducatives. Il n’est que de voir les innombrables messages sur les forums de mères allaitantes dans lesquels celles-ci se plaignent de leurs parents et/ou beaux-parents…

Comment les grands-parents voient l’allaitement et le maternage

Heureusement, il est aussi des cas où le regard des grands-parents sur l’allaitement et le maternage de leurs petits-enfants est au contraire tout à fait bienveillant. Soit qu’ils aient eu eux-mêmes ces pratiques en tant que parents, et qu’ils se réjouissent de voir leurs enfants devenus parents avoir les mêmes gestes qu’ils ont eus. C’est par exemple le cas de Jeanne qui, à voir sa première petite-fille téter sa mère, retrouve « le plaisir [qu’elle a] eu à nourrir son père, et le sentiment d’une réussite, d’un accomplissement, d’une tâche bien remplie pour le bien de l’enfant ». Ou encore Anne-Marie, admirative à voir ses filles materner : « Elles sont tellement à l’écoute de leur bébé, dorment avec lui, l’allaitent à volonté, le portent beaucoup. Je les trouve beaucoup plus “douées” que moi pour mon premier, il me semble que c’est instinctif, qu’elles savent mieux s’écouter. Quand elle me disent que c’est parce qu’elles m’ont vue faire, je suis une maman comblée : moi qui n’ai pas pu allaiter mes filles, je sais que tout ce que j’ai découvert en allaitant leurs frères les a nourries elles aussi. Je le pensais, mais là, je le vois. »
Soit qu’ils n’aient pas eu ces pratiques pour une raison ou pour une autre (l’allaitement et le maternage n’étaient pas « dans l’air du temps », ou bien l’allaitement a échoué faute d’informations et de soutien adéquats), mais que, devant le bonheur manifeste des parents et de l’enfant, ils fondent et portent eux aussi un regard bienveillant, voire émerveillé, sur ces pratiques.
Voyez par exemple ce que raconte Noëlle Châtelet (elle s’adresse ici à sa mère décédée, la grande sage-femme Mireille Jospin) : « À l’époque où j’enfantai, nous nous rebellions, les jeunes mères d’alors, souviens-toi, contre l’idée de l’allaitement. Ce n’était plus dans l’air du temps. Moi non plus n’avais pas voulu de ce que nous, les mères d’alors, vivions comme une régression pour notre libération de femmes. Aussi bien n’ai-je allaité qu’à peine deux ou trois jours, à mon corps défendant, sans plaisir aucun, je l’avoue. Ce spectacle, donc, je le découvre. Autrement. Seul un peintre pourrait – et saura – rendre l’exacte perfection de ce que je vois, sous la véranda maintenant inondée de soleil et de fleurs. Je suis devant une scène qui me fait étrangement envie et, parce qu’elle me fait envie, soudain me donne nostalgie et regret. Envie double d’être à la fois et l’enfant et la mère. La bouche qui tète le sein, le sein que suce la bouche. Regret inattendu, celui de ne pas l’avoir vécu et de ne pas l’avoir non plus partagée, cette scène, avec mon propre enfant. Surtout pas de contrition, ni de remords, rien qui soit d’ordre moral, non. Plutôt le sentiment d’être passée à côté d’une jouissance possible. » (2)

Ce que les parents attendent des grands-parents

D’abord, pas de critiques ! Rien de pire, et c’est de cela que se plaignent le plus les nouveaux parents, que les remarques insidieuses et répétées des grands-parents : ton bébé pleure beaucoup, ton lait ne doit pas être assez riche, tu l’as fait analyser ? Il est encoooore au sein ?! Vous le portez trop, il va être capricieux… Tu comptes l’allaiter jusqu’à quand ?! Je vous laisse continuer la liste, car elle est longue.
Ce genre de harcèlement est d’ailleurs une des causes majeures d’arrêt de l’allaitement. En 1995, des chercheurs anglais de Newcastle avaient cherché à savoir comment on pouvait repérer les femmes les plus susceptibles d’arrêter rapidement d’allaiter. Leur conclusion : « Nous avons découvert que le point le plus important est : combien de fois voyez-vous votre mère ? Plus on la voit, moins on est susceptible d’allaiter » !
Ne pas critiquer, c’est bien. Soutenir, c’est encore mieux. Une enquête faite au Texas en 2008 (3) a montré que ce que demandaient les mères allaitantes aux grands-mères, c’était qu’elles soient leurs défenseurs, qu’elles les soutiennent et les encouragent, qu’elles valorisent leur allaitement. Pour cela, il serait souhaitable que leurs connaissances en la matière soient améliorées, surtout si elles n’ont pas elles-mêmes allaité, et donc que tout programme de promotion de l’allaitement les inclue à part entière.
Et ce qui est vrai de l’allaitement est aussi vrai pour les autres pratiques de maternage : ne pas les critiquer, les soutenir si possible, voire… les adopter !

Un grand-parentage proximal ?

Il arrive en effet que des grands-parents soient conquis par des pratiques de maternage qu’ils n’ont pas eues avec leurs enfants, au point de les adopter quand ils ont à s’occuper de leurs petits-enfants bébés et bambins.
Ils peuvent par exemple les porter en écharpe (ou avec un autre mode de portage physiologique). Paule R., interviewée dans le hors-série n° 5 de Grandir autrement, a porté régulièrement ses deux petits-fils. Pour elle, « cela autorise une approche sécurisante et apaisante de l’enfant, entre autres quand celui-ci est fatigué en fin de journée et qu’il faut le réconforter avant le retour de la maman ou du papa. Le portage favorise le contact, le toucher, la tendresse ».
Ils peuvent accepter l’enfant dans leur lit. On voit des grands-parents prendre dans leur lit ou dans leur chambre un bébé ou un bambin angoissé de se retrouver tout seul, voire un enfant plus grand parce qu’il est effrayé par l’orage, ou tout simplement parce que c’est chouette de se raconter des histoires avant de s’endormir.

Alloparents ?

On dit souvent qu’à l’arrivée d’un nouveau bébé, le rôle des grands-parents n’est pas de s’occuper du bébé, même si c’est tentant, mais de s’occuper de « tout le reste » (courses, ménage, repas, enfants plus grands…) pour permettre à la mère de se consacrer au nouveau-né.
Certes, mais la mère n’a-t-elle pas aussi besoin par moments, surtout à mesure que le bébé grandit, de « bras de secours » qui puissent aussi materner, porter, bercer, câliner ? Dans les sociétés où les bébés sont constamment portés les premiers mois, ils sont loin d’être uniquement portés par leur mère : les pères, les grands-mères, les sœurs, les cousines, les grandes filles, les voisines… le font aussi. Chez les peuples de chasseurs-cueilleurs, on estime que les bébés passent entre 20 et 60 % de leur temps diurne dans les bras d’autres personnes que leur mère (la nuit, par contre, ils sont toujours lovés contre elle), essentiellement des parent(e)s à elle. C’est ce que les ethnologues et les éthologues (car cela existe aussi chez les animaux) appellent les alloparents (4).
En fait, dans toutes les sociétés humaines, les grands-parents, plus particulièrement les grands-mères, ont été, après (voire avant) les pères, les premiers des alloparents. Chez nous, l’éclatement familial, l’éloignement géographique et/ou de profonds conflits éducatifs ne leur permettent souvent pas de jouer ce rôle.
Mais si les grands-parents sont là, présents, respectueux des choix des parents et désireux de s’impliquer, il ne faut pas craindre d’en user… sans en abuser ! C’est ce qu’a fait Sylviane à la naissance de sa fille : « Après la naissance, j’allais au moins une fois par semaine chez mes parents pour qu’ils se connaissent. Ce n’était pas forcément pour la garde, mais passé 1 an, il m’est arrivé de la leur laisser ponctuellement. Je trouve que c’est agréable pour un enfant d’avoir plusieurs adultes référents. Je me souviens comme elle allait facilement vers eux lorsque je ne pouvais pas répondre assez rapidement à un de ses besoins. Je le faisais aussi parce que j’étais confiante vis-à-vis de leurs pratiques. Ce sont eux qui m’ont appris le cododo. Depuis, je m’aperçois qu’ils pratiquent aussi naturellement les signes avec les bébés, et même l’hygiène naturelle ! Et surtout, ils ne laisseraient jamais pleurer ! Sur les points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord, ils respectent ma position de mère et acceptent mes méthodes. Ils ont même évolué sur certains sujets. Par exemple, ils ne connaissaient rien à l’allaitement. Lorsqu’ils l’ont gardée, ils ont donc eu tout à apprendre, et s’y sont très bien faits. Ils étaient gênés par l’allaitement long, pour finalement s’y habituer et en reconnaître les avantages. »
Des grands-parents comme ça, on voudrait toutes et tous en avoir !

(Extraits adaptés de Le (nouvel) art d’être grand-parent, éditions L’Instant présent)

1. Voir l’ouvrage bien connu de Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand, L’art d’accommoder les bébés (première édition en 1980).
2. Au pays des merveilles, Seuil, 2009.
3. Grassley J et Eschiti V, Grandmother breastfeeding support : what do mothers need and want ?, Birth 2008 ; 35(4) : 329-35.
4. Voir le livre passionnant de la primatologue américaine Sarah Blaffer Hrdy, Comment nous sommes devenus humains, Les origines de l’empathie, et ce que j’en dis sur le blog des Vendredis intellos.

 

Voir aussi L’hypothèse de la grand-mère

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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