Doudou : l’objet transitionnel est-il obligatoire ?

Doudou : l’objet transitionnel est-il obligatoire ?

De nos jours, il semble quasi obligatoire pour un petit d’avoir un « objet transitionnel » (« doudou », couche en tissu, bout de tissu quelconque, nounours ou autre peluche, etc.) ou un « geste transitionnel » (essentiellement le fait de sucer son pouce). Dans tout lieu de garde qui se respecte, on insiste sur l’importance de cet objet ou de ce geste. À la limite, un enfant qui n’en aurait pas à l’arrivée, s’en verrait imposer un dare-dare !

Et pourtant, combien de mères pratiquant un maternage « proximal » (allaitement long, portage, sommeil partagé, séparations moins précoces et moins nombreuses qu’en moyenne) ont constaté une absence de doudou.
Questionné en 1994 par la revue Allaiter aujourd’hui sur le fait de savoir si, selon lui, l’objet transitionnel (OT) était ou non un stade obligé du développement de l’enfant, le Professeur Lebovici avait répondu que « l’objet transitionnel n’est pas une obligation, l’enfant n’a pas forcément besoin de se consoler de l’absence de sa mère ».
Dans Les Rituels du coucher de l’enfant, variations culturelles (ESF éditeur, 1993), Drina Candilis-Huisman écrivait quant à elle : « De gré ou de force, [l’enfant] doit se taire et dormir, ou c’est sa propre mère que la rumeur de la rue désignera du doigt. Est-ce pour lutter contre l’éloignement qu’on leur impose de cette façon, que les enfants de notre culture ont un recours si fréquent à ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’objet transitionnel ? »
Une étude [1] est venue récemment confirmer son hypothèse.

Afin de recruter des parents pratiquant l’attachment parenting (allaitement à la demande, sevrage naturel, sommeil partagé, portage, réponse aux pleurs de l’enfant), un questionnaire a été inséré dans un numéro d’une revue internationale prônant ce style de maternage, The Compleat Mother.
275 mères ont renvoyé le questionnaire rempli. Leur âge moyen était de 34 ans, elles habitaient principalement les États-Unis et le Canada, et étaient majoritairement blanches, mariées et diplômées. 91 % ont dit pratiquer l’attachment parenting, 89,1 % avaient allaité exclusivement, et la plupart ont dit donner le sein à l’enfant pour le réconforter en cas de besoin. L’âge moyen du sevrage était de 35,8 mois, avec un étalement qui allait de 1 à 90 mois.
On a demandé aux participantes si leur enfant avait ou avait eu un objet transitionnel. Les réponses proposées étaient : aucun, pouce ou autres doigts, peluche ou poupée, couverture, sucette ou partie du corps de la mère. 48,7 % des mères ont dit que leur enfant les utilisaient (elle, la mère) comme « objet de câlin ». Pour 40 %, il s’agissait du sein pendant la tétée, et pour 8,7 % d’une autre partie du corps maternel (cheveux, visage…). Seuls 18,2 % des enfants utilisaient un OT « traditionnel » (doudou, sucette ou pouce), ce qui est un chiffre très bas (des études faites dans une population occidentale standard révèlent des taux d’utilisation d’OT allant de 50 à plus de 60 %).
Cette étude définissait la « high contact mother » (mère pratiquant le contact avec l’enfant à hautes doses) par quatre conduites : allaitement au sein, allaitement à la demande, sommeil partagé, endormissement dans les bras ou au sein. 211 mères (76,7 %) ont dit les pratiquer. Quand les quatre conduites n’étaient pas réunies, les enfants utilisaient statistiquement plus souvent un OT traditionnel.
On trouvait une relation significative entre l’âge du sevrage et le type d’OT utilisé. Les enfants qui avaient un OT traditionnel étaient sevrés plus tôt que ceux qui n’en avaient pas, et ceux qui utilisaient le sein comme OT étaient sevrés plus tard que ceux qui utilisaient une autre partie du corps de la mère.
Cette étude confirme celle de Hong et Townes [2] qui avaient trouvé que seulement 18 % des enfants coréens (plus susceptibles d’avoir dormi avec leur mère et d’avoir été allaités longtemps) étaient attachés à un OT. Ces deux études, et d’autres encore (Gaddini & Gaddini, 1970 ; Litt, 1981 ; Lozoff et al, 1984 ; Wolf & Lozoff, 1988), semblent indiquer que les enfants dormant seuls et devant s’endormir seuls ont plus tendance à utiliser un OT que ceux qui dorment avec leur mère et s’endorment dans ses bras.

Dans leur conclusion, les auteurs s’interrogent sur une possible hiérarchisation des OT. Les bébés qui seraient soutenus et réconfortés par leur mère dans les moments de stress (sensation de faim, endormissement, réveils nocturnes) auraient tendance à ne pas utiliser d’OT ou à utiliser le sein. Les bébés qui devraient apprendre à se réconforter seuls dans ces moments-là développeraient un attachement à un OT, soit un objet externe comme un nounours ou une couverture, soit une partie du corps comme le pouce ou une mèche de cheveux.
Tout cela accrédite l’idée selon laquelle l’utilisation d’un OT n’est pas universelle et n’est pour l’enfant qu’une façon de s’adapter aux pratiques de ses parents.
Comme l’écrivait Desmond Morris dans Le bébé révélé, en parlant des bébés attachés à un doudou : « Ceux-là ont de la chance car, quand ils restent seuls, ils se sentent un peu moins malheureux que ceux qui n’ont aucun réconfort. Pour cette raison, les doudous font plus de bien que de mal. En fait, on ne peut rien leur reprocher, malgré ce qu’en pensent certains, pour qui cet attachement n’est pas naturel. Ce qui n’est pas naturel, ce n’est pas le doudou, mais l’habitude de laisser seuls les tout-petits quand on les couche.  »

 

[1] Katherine E. Green, Melissa M. Groves & Deborah W. Tegano, Parenting practices that limit transitional object use : an illustration, Early Child Development and Care, 2004, vol. 174(5), p. 427-436.
[2] Hong, K. M. & Townes, B.D. (1976) Infants’ attachment to inanimate objects : a cross-cultural study, American Academy of Child Psychiatry Journal, 15, p. 49-61.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Newsletter

Prochains événements

  • Aucun événement à venir
  • Archives