Les 1000 premiers jours, et l’allaitement ?

Les 1000 premiers jours, et l’allaitement ?

Le 19 septembre dernier, le Président de la République installait officiellement la « Commission des 1000 premiers jours de l’enfant ». Sa feuille de route : proposer un « parcours des 1000 jours » destiné à accompagner les parents du 4e mois de grossesse jusqu’aux 2 ans de leur enfant [1].
Voilà déjà quelque temps que l’Unicef insiste sur l’importance de ces 1000 premiers jours : « Les premiers moments comptent. C’est pour cela qu’une alimentation saine, une stimulation adéquate et des soins adaptés, soit manger, jouer et aimer, sont essentiels pour développer le cerveau des bébés au cours des 1 000 premiers jours de vie. » [2]
Et l’alimentation la plus saine qui soit pour les bébés, c’est bien sûr l’allaitement maternel ! L’Unicef est sur cette ligne, espérons que la Commission française le soit aussi.

Le lait humain, nutritif et protecteur

Le lait humain, c’est bien sûr d’abord un aliment, et le meilleur qui soit : l’addition de lipides, glucides, protides, vitamines, oligo-éléments… des­tinés à faire grandir et grossir les petits humains, parfaitement adaptés à leur métabolisme, présents dans les bonnes proportions, et assimilables (un exemple : près de 50 % du fer présent dans le lait maternel sont assimilés, contre seulement 4 % dans le cas des laits artificiels enrichis en fer).
C’est un aliment parfaitement adapté à ce qui fait la spécificité de l’espèce humaine : son « gros » et si complexe cerveau. Le lait maternel est en effet très riche en lactose et en acides gras essentiels, si importants pour le développement neurologique.
Le lait maternel, c’est aussi plein de facteurs de protection : anticorps, lac­toferrine, lysozyme, caséine, fibronectine, protectine, protéines du com­plément, mucine, lactadhérine, lymphocytes, cytokines, enzymes comme la catalase, oligosaccharides, etc., qui jouent non seulement un rôle important pour la protection de l’enfant pendant la période d’allaitement, mais ont aussi un impact à long terme, car ils aident à la mise en place de son système immunitaire.

L’allaitement, pour la santé de l’enfant

Passer en revue les effets de l’allaitement sur la santé dépasserait largement le cadre de cet article : les études parues ces toutes dernières années sur le sujet rempliraient à elles seules plusieurs volumes.
Voici juste deux exemples, l’un sur les effets à court terme, l’autre sur ceux à long terme.
À une époque où reviennent chaque année les cas de bronchiolite du nourrisson (30 % des bébés atteints chaque année en France), il est intéressant de savoir que des chercheurs canadiens, ayant étudié l’incidence de la bronchiolite chez plus de 90 000 enfants nés entre 1999 et 2002, ont identifié parmi les facteurs de risque le non-allaitement [3].
Concernant les effets à l’âge adulte, une synthèse de dix-sept études portant en tout sur 17 500 adultes, dont 12 900 avaient été allaités et 4 600 nourris au lait infantile, a montré que les premiers avaient un taux moyen de cholestérol plus faible que les seconds. Et ce d’autant plus si l’allaitement avait été exclusif [4].
Et l’allaitement, ce n’est pas que le lait, c’est aussi la tétée au sein. Par la gymnastique des mâchoires que cela suppose, il permet un bon développement de celles-ci et un bon positionnement des arcades dentaires. Ainsi, une étude faite sur 1 400 enfants brésiliens âgés de 3 à 6 ans [5] a montré que la prévalence de l’articulé croisé postérieur au niveau des dents de lait (je sais, les termes sont assez abscons, mais sachez que cela entraîne un risque de croissance asymétrique des mâchoires et d’usure asymétrique des dents) était inversement corrélée à la durée de l’allaitement : 31,1 % chez ceux qui n’avaient pas été allaités, 22,4 % chez ceux qui avaient été allaités moins de six mois, 8,3 % chez ceux qui l’avaient été entre six et douze mois, et seulement 2,2 % pour ceux qui avaient tété plus de douze mois.

L’aliment du cerveau

On sait depuis plus de 20 ans le rôle essentiel des acides gras polyinsaturés à longue chaîne dans le développement du cerveau. Or le lait de femme est très riche en ces AGPI-LC, au point que les fabricants de laits infantiles ont cru bon d’en ajouter certains dans leurs produits (sans arriver à reproduire le même effet, il faut dire…).
En 2015, est sorti une étude brésilienne [6] faisant le lien entre un allaitement prolongé et un plus haut quotient intellectuel à 30 ans. Elle se distinguait par son caractère prospectif (et non rétrospectif comme la plupart des autres études sur le sujet), sa taille et sa durée : près de 6 000 nourrissons de la ville de Pelotas (Sud-Est de l’État du Rio Grande do Sul) ont été suivis à partir de 1982.
Du 4 juin 2012 au 28 février 2013, les chercheurs ont calculé le QI de 3 493 participants à la cohorte (sur 5 914 nourrissons inscrits en 1982) et les ont interrogés sur leurs études et leurs revenus. Résultat : ceux qui avaient été allaités pendant au moins douze mois avaient un QI plus élevé (supérieur de 4 points), un niveau d’études et des revenus supérieurs (près d’une année d’études supplémentaire et un tiers de revenus en plus par rapport au revenu moyen) à ceux qui avaient été allaités pendant moins d’un mois. L’effet était dose-dépendant.

L’allaitement, un plaisir partagé

Pour bien grandir, les enfants n’ont pas besoin que de nourritures physiques, ils ont aussi besoin de nourritures affectives, de relations riches, de joie, de plaisir.
Or quiconque a pu un jour observer un bébé en train de téter ne peut que reconnaître qu’il s’agit bien là d’une expérience apportant du plaisir.
Plaisir de combler sa faim, bien sûr. Mais pas seulement : on sait que le bébé, même tout petit, ne tète pas que par faim, et que même les tétées « nutritives » ne sont pas que nutritives. Elles sont une expérience sensitive, sensuelle, relationnelle et affective totale, où tous les sens du bébé, et aussi son besoin d’amour et de relation, sont comblés.
Ce plaisir, il l’exprime par des mimiques, des sourires, des bruits (soupirs, grognements de satisfaction…), des caresses, une détente de tout le corps. Et quand il est en âge de parler, il l’exprime par des mots !

Allaiter au long cours

Car oui, on peut allaiter un enfant qui parle !
D’ailleurs, puisqu’on parle des « 1000 premiers jours », si on les fait commencer au quatrième mois de grossesse, cela nous amène à… plus de 2 ans ! Sachant que tant les recommandations nationales (Haute Autorité de Santé, Programme national nutrition santé, ministère de la Santé) qu’internationales (Organisation mondiale de la Santé, Unicef) sont : 6 mois d’allaitement maternel exclusif, puis introduction d’aliments complémentaires [7] avec poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans ou davantage.
Le lait maternel ne devient pas subitement de l’eau à 6 mois, il reste un aliment complet et adapté au petit humain.
Les bénéfices de l’allaitement pour la santé à court et à long terme sont toujours là [8].
Les bénéfices pour l’équilibre psychique et la vie relationnelle sont toujours là. Ainsi, une étude faite sur près de 1 300 enfants chinois en dernière classe de maternelle [9] a trouvé un impact dose-dépendant de l’allaitement sur le risque de « troubles du comportement internalisés » (dépression, anxiété…) : le risque était le plus bas chez ceux qui avaient été allaités plus de dix mois.
Allaiter au-delà des premiers mois n’est ni pathologique, ni farfelu, ni le fait de superwomen bizarroïdes, c’est tout simplement normal et bon pour les enfants.

Et allaiter au-delà des premiers mois n’empêche pas de reprendre le travail si l’on doit ou veut le faire (ni de reprendre des études, ni d’avoir une vie sociale…).
On peut continuer à allaiter dès qu’on a l’enfant avec soi (matin, soir, nuit, jours de congé, vacances…). Pendant les périodes où il est gardé, il recevra, selon son âge, du lait artificiel ou/et des solides.
On peut, si l’enfant est gardé non loin du lieu de travail, voire sur le lieu de travail, aller l’allaiter dans la journée.
On peut, s’il a moins de 6 mois et qu’on souhaite qu’il continue à bénéficier d’un allaitement exclusif, tirer son lait, pour qu’il lui soit donné par les personnes qui le gardent [10].

Conclusion

 Alors, faisons en sorte que les femmes puissent allaiter le temps qu’elles souhaitent (combien arrêtent plus tôt qu’elles n’auraient voulu…), que les enfants puissent boire cet or liquide qu’est le lait humain le temps nécessaire, que ces fameux 1 000 premiers jours baignent dans le bain d’ocytocine qu’est la tétée au sein… et l’on aura donné aux petits humains la meilleure base qui soit pour devenir des adultes en bonne santé et épanouis !

 

[1] Faire des 1000 premiers jours de l’enfant une priorité de l’action publique
[2] Les premiers moments comptent
[3] Koehoorn M et al., Descriptive epidemiological features of bronchiolitis in a population-based cohort, Pediatrics 2008 ; 122(6) : 1196-1203.
[4] Owen CG et al., Does initial breastfeeding lead to lower blood cholesterol in adult life ? A quantitative review of the evidence, American Journal of Clinical Nutrition 2008 ; 88(2) : 305-314.
[5] Kobayashi HM et al., Relationship between breastfeeding duration and prevalence of posterior crossbite in the deciduous dentition, Am J Orthod dentofacial Orthop 2010 ; 137 : 54-8.
[6] Victora CG, Lessa Horta BL, de Mola CL et al., Association between breastfeeding and intelligence, educational attainment, and income at 30 years of age : a prospective birth cohort study from Brazil, Lancet Glob Health 2015 ; 3 : e199–e205.
[7] Pour l’introduction des solides, pensez à la DME (diversification menée par l’enfant) où on laisse l’enfant découvrir les solides à son rythme, selon son goût, dans les quantités qu’il souhaite et dans les textures qu’il préfère. Voir ICI.
[8] Voir mon livre Allaiter plus longtemps, éditions Jouvence.
[9] Liu J et al., Breastfeeding and active bonding protects against children’s internalizing behavior problems, Nutrients 2014 ; 6 : 76-89
[10] Le code du travail prévoit que « pendant une année à compter du jour de la naissance, la salariée allaitant son enfant dispose à cet effet d’une heure par jour pendant les heures de travail » (voir articles L. 1225-30 à L. 1225-32). Voir ICI.

 

Article paru dans le n° 27 de Peps, décembre 2019.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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