Les bébés doivent-ils pleurer ?

Les bébés doivent-ils pleurer ?

J’ai écrit cet article en 1992, dans le n° 13 d’Allaiter aujourd’hui, la revue de LLL France. J’écrirais la même chose aujourd’hui.

Le livre d’Aletha Solter, Votre enfant comprend tout, a séduit un certain nombre de parents.
Je n’aborderai pas ici tous les chapitres qui contiennent des choses avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord (allaitement, prendre le bébé dans son lit, etc.), pour me concentrer sur les pleurs, qui sont vraiment le cœur du livre.
Pour Aletha Solter, comme pour tout un courant actuellement très en vogue aux États-Unis, les pleurs sont essentiellement un moyen pour le bébé de s’exprimer, de sortir ses frustrations, ses colères, ses chagrins, la douleur de la naissance, etc. Faire quelque chose pour calmer ces pleurs, ce serait donc étouffer dans l’œuf l’expression de ses sentiments.
Elle se fonde notamment sur toutes les études faites chez les adultes et montrant les conséquences nocives de cette non expression des sentiments (maladies psychosomatiques, dépression…) et au contraire le caractère bénéfique et relaxant de « laisser couler ses larmes ». Elle en conclut que tout ce qui est fait pour calmer ces pleurs essentiels du bébé constitue ce qu’elle appelle un « mécanisme de contrôle », mettant dans le même panier la tétée, la sucette, le bercement, l’offre de nourriture, etc.
Même si l’on peut être d’accord pour dire que, dans certains cas – surtout chez des grands –, il arrive qu’on utilise la tétée pour « fermer le bec » à un enfant qui s’exprime, je crains que le schématisme d’Aletha Solter (notamment le fait de ne pas faire de différence selon l’âge de 1’enfant) n’aboutisse une fois de plus à « laisser l’enfant pleurer pour son bien ».

Les pleurs : besoins ou signaux ?

Tout dépend évidemment de l’interprétation que l’on fait de ces pleurs. Pour Aletha Solter – et même si elle prend la précaution d’éliminer d’abord les autres causes possibles –, ils sont un moyen pour l’enfant de sortir sa tension. Mais ne sont-ils pas plus souvent pour lui le moyen de nous faire connaître ses besoins, parce que nous avons négligé d’autres signaux plus subtils. Je voudrais citer ici le Québécois Leandre Bergeron, qui dit cela très bien : « Nous adultes, utilisons le cri vraiment en dernier recours, quand on est coincé dans une situation où la panique nous prend. Le bébé fait de même. S’il pleure, c’est que tous les autres moyens subtils qu’il a utilisés pour faire savoir son état n’ont pas été compris et que, maintenant paniqué, il utilise le seul moyen qui lui reste, le cri de détresse et de désespoir, les pleurs » (Petit manuel de l’accouchement à la maison, VLB Editeur).
Si l’on a un minimum d’empathie avec le bébé, on sentira profondément que ces pleurs (qui sont plutôt des cris, d’ailleurs, que des pleurs) ne sont pas bénéfiques à l’enfant. Mettez-vous cinq secondes à la place de l’enfant, et sentez à quel état correspondrait chez vous de tels cris…

Cris-appels et cris-décharge

Une fois qu’on a fait la différence entre les cris comme appels pour manifester un besoin et les cris servant à décharger la tension, la colère, le chagrin, cris qu’il peut être impossible – voire effectivement nuisible – de vouloir empêcher, reste une interrogation de base : ces tensions, ces colères, ces chagrins sont-ils, quoi qu’on fasse, inévitables dans l’expérience du bébé et du petit enfant, ou ne sont-ils pas souvent fruit d’un maternage ignorant de ses besoins fondamentaux ?
Le message fondamental qui ressort du livre d’Aletha Solter, c’est que tous les bébés ont de bonnes raisons de pleurer. Elle écrit elle-même : « Tous les enfants ont probablement besoin de pleurer chaque jour, même s’ils sont très bien traités » (p. 75).
L’étape suivante du raisonnement, c’est bien sûr de penser qu’un bébé qui ne pleure pratiquement jamais est en danger, car il doit être bardé d’automatismes de contrôle qui peuvent le mener… à l’autisme !
Autant je suis d’accord pour dire qu’il est mauvais d’empêcher l’enfant d’exprimer son chagrin ou sa douleur (« mais non, tu n’as pas mal », « c’est rien, ça va passer », « arrête de pleurer comme ça », etc.), autant je pense qu’il est de notre devoir d’être humain en général, et de parent en particulier, d’éviter aux autres le plus possible les souffrances inutiles, et si elles ont quand même lieu, de consoler par les moyens à notre disposition, tout en reconnaissant cette souffrance.
Laisser pleurer, voire encourager à pleurer (même si l’on tient l’enfant dans ses bras), et penser que cela est bon, ce n’est finalement qu’une sorte de sadisme.

 

Voir aussi Apaiser les pleurs, Peut-on (et doit-on) décrypter les pleurs des bébés ?, Ne pas laisser pleurer, Quelques conséquences du « laisser pleurer »

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

3 commentaires

  1. fanny

    On m’a conseillé ce bouquin à plusieurs reprises mais malgré l’enthousiasme de mes amies, la description qu’elles en ont fait ne m’a pas donné envie…
    Merci pour cet article qui contient un discours qui me convient beaucoup mieux !

  2. Hannah

    Oui, merci, enfin un article qui me donne des repères par rapport à Solter. Je n’ai jamais pu faire ce qu’elle demandait et en effet je trouvais son approche limite, et je suis contente d’enfin lire un avis identique!
    Merci.

  3. Lilo

    En formation pour devenir formatrice en Dunstan Baby Language, j’ai été troublé par ce qui a été dit sur l’expression de la douleur et sur la prise en charge des pleurs basée sur les travaux d’Aletha Solter.
    J’ai été perturbé et n’ai pas vraiment compris. Peut-être est-ce lié à ma propre expérience ? Ou pas.
    Quoi qu’il en soit, votre article m’a permis de mettre en perspective ce malaise ressenti, d’y poser des mots et de trouver une résonance.
    Merci !

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