Les enfants rendent-ils les parents heureux ?

Les enfants rendent-ils les parents heureux ?

Et doivent-ils les rendre heureux ? Les futurs parents n’ont-ils pas chez nous des attentes complètement irréalistes (l’enfant comme acquisition désirable, ultime épanouissement du couple, etc.) qui se fracassent bien souvent sur la réalité de la vie avec un nourrisson et ses besoins ?

Sortie en août 2015, une étude [1] a fait le buzz sur Internet. Parue dans une revue de démographie, son but était de trouver pourquoi, dans les pays développés, l’écart est si grand entre le nombre d’enfants que les gens disent vouloir et le nombre d’enfants qu’ils ont. Elle a été faite en Allemagne (où cet écart est particulièrement important) sur 2 000 nouveaux parents d’un premier enfant auxquels on a demandé de répondre à la question « Êtes-vous satisfaits de votre vie ? » en donnant une note allant de 1 à 10.
Résultats : alors que chez les couples désirant un enfant, la note avait tendance à monter dans l’année précédant la naissance, une fois celle-ci passée, 70 % des couples se notaient comme moins heureux pendant l’année voire les deux années suivant la naissance. En moyenne, la note baissait de 1,6 point. Soit plus qu’après un divorce (- 0,6 point), un licenciement (- 1 point) et même la mort du conjoint (- 1 point) ! De quoi dissuader d’avoir un deuxième enfant !

Des attentes irréalistes

Même si l’on peut s’interroger sur la méthodologie de l’étude et son côté simplificateur (quid de la définition du « bonheur » ? quid des variables socio-économiques ?), elle n’en est pas moins interpellante.
Une amie à qui je demandais sa réaction à de tels résultats m’a répondu : « Ce qui m’a interpellée dans cette étude, c’est une vision des choses que j’ai pu voir dans nos groupes de mères : l’enfant est attendu comme un supplément de bonheur, un attribut final de la réussite, un accomplissement ; on fonde sur lui toutes sortes d’attentes, et la désillusion est parfois grande devant un individu avec ses propres besoins et exigences, qui n’a rien demandé à personne et n’est pas là pour réaliser le rêve de qui que ce soit… L’enfant est vu comme acquisition : maison, carrière, couple, puis enfant pour couronner le tout au bon moment, bien planifié, bien préparé, attendu comme une gratification narcissique. Un enfant sur lequel on fonde tant d’espoirs, mais pour qui on n’est pas forcément prêt à trop de changements de vie ni de sacrifices. »

La contradiction

Les parents de nos sociétés modernes sont en effet face à une réelle contradiction qui explique leur malaise.
D’une part, on voit l’enfant comme un plus qui va simplement s’ajouter à notre vie sans la changer fondamentalement. On n’imagine d’autant moins à quel point la vie va devoir se réorganiser différemment après la naissance de l’enfant qu’on a généralement côtoyé très peu de bébés avant d’en avoir un et qu’on ne connaît donc pas leurs besoins de base.
D’autre part, on s’attend dans le même temps à ce que les parents soient centrés sur l’enfant, au moins quand ils sont avec lui. Qu’ils jouent avec lui, qu’ils fassent des choses de bébé avec lui. Alors que, comme l’explique Jean Liedloff, l’auteur du Continuum concept, ce n’est pas ce dont l’enfant a besoin : « Dans la mesure où un enfant veut apprendre ce que font les adultes, il veut pouvoir centrer son attention sur un adulte lui-même centré sur ses activités d’adulte. »[2]
L’enfant au centre et l’enfant à la périphérie, il y a de quoi devenir fou ! En tout cas, voir sa note de bonheur baisser…
Mon amie concluait sa réponse par ces mots avec lesquels je suis complètement d’accord : « Finalement, un enfant n’est pas là pour apporter plus de bonheur. Plus de vie, sûrement, de surprises, oui, de remises en question et d’occasions de bouger, de grandir, de découvrir sur soi… Mais de bien-être ? Et qu’est-ce que le bonheur ? »

 

[1] Rachel Margolis et Mikko Myrskylä, Parental Well-being Surrounding First Birth as a Determinant of Further Parity Progression, Demography 2015 ; 52(4) : 1147-1166.
[2] Du danger d’être centré sur l’enfant, Allaiter aujourd’hui n° 26, janvier 1996, p. 14-15. Article originellement paru dans Mothering, Winter 1994.

 

Cette chronique est parue dans le n° 56 de Grandir autrement, février 2016.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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