Nutrition infantile et conflits d’intérêts

Nutrition infantile et conflits d’intérêts

Parlons aujourd’hui agnotologie, fabrique du doute, conflits d’intérêts, etc. Un sujet qui me tient à cœur et qui a aussi à voir avec le maternage, plus précisément avec la nutrition infantile.
D’après Wikipédia, « l’agnotologie est l’étude de la production culturelle de l’ignorance. Le terme a été inventé par l’historien des sciences Robert N. Proctor en 1992 ».
Cette « production de l’ignorance », ou cette « fabrique du mensonge » comme l’appelle le journaliste scientifique Stéphane Foucart [1], a été inaugurée par l’industrie du tabac, et utilisée ensuite avec succès par l’industrie de l’amiante, celle des OGM, des perturbateurs endocriniens [2], les climato-sceptiques, etc.

Comment ça marche ?

Dans un premier temps, l’industrie nie carrément qu’il y ait un problème alors que, le plus souvent, elle est tout à fait au courant (le dépouillement des archives des cigarettiers montre par exemple qu’ils étaient au courant dès le début des liens entre cigarette et cancer du poumon [3]).
Deuxième temps, quand des études commencent à sortir sur les problèmes pouvant être causés par le produit, l’industrie s’emploie à créer un rideau de fumée en engageant des communicants qui vont « mettre le doute » (« oui, il y a ces études, mais rien n’est sûr, il y en a qui disent le contraire, il faudrait d’autres études, etc. ») et en finançant grassement des scientifiques qui font des recherches sur d’autres causes possibles des dits problèmes (le cancer du poumon, c’est l’environnement, ou bien de mauvais gènes…).

Conflits d’intérêts

Ces temps-ci, pas un jour ne se passe sans qu’on découvre un nouveau scandale sanitaire révélant des conflits d’intérêts majeurs. Trop souvent, les politiques sanitaires des États sont élaborées par des commissions d’« experts » dont les déclarations d’intérêts (maintenant obligatoires, ce qui est quand même un progrès, même si c’est pas encore loin d’être parfait [4]…) révèlent qu’ils sont juges et parties dans l’affaire.
Louis-Adrien Delarue a mené pour sa thèse de médecine un travail d’investigation sur quatre recommandations de la HAS qui incitaient à la prescription de médicaments dont le rapport bénéfices/risques était négatif et qui avaient de gros effets indésirables. Il a découvert que les experts qui avaient produit ces recommandations avaient des liens d’intérêts avec les firmes pharmaceutiques produisant ces médicaments [5]

Et la nutrition infantile ?

Là aussi, les conflits d’intérêts prospèrent. C’est ainsi que pratiquement tous les membres du comité de nutrition de la Société française de pédiatrie ont des liens avec l’industrie des aliments pour nourrissons. Allez voir par exemple les déclarations d’intérêts à la fin des récentes recommandations sur la diversification alimentaire [6] : Danone, Blédina, Nestlé, Mead-Johnson, Novalac, Sodilac, Lactalis, Nutricia… n’en jetez plus ! Et l’un des très rares à ne pas en déclarer est membre de l’Institut Danone [7] ! Mais ils ne voient pas où est le problème…
Moi, je le vois.

 

[1] La fabrique du mensonge (Denoël, 2013).
[2] Voir Stéphane Horel, Intoxication (La Découverte, 2015). Et : Perturbateurs endocriniens : la fabrique d’un mensonge
[3] Robert Proctor, Golden Holocaust, la Conspiration des industriels du tabac (Les Équateurs, 2014).
[4] La loi Bertrand de 2011 oblige les professionnels de santé à publier leurs liens avec les labos. Mais problème : son décret d’application a exclu de la publication les montants des rémunérations… Et beaucoup d’experts ne remplissent toujours pas cette déclaration publique d’intérêts.
[5] Interview du Dr Delarue.
[6] Diversification alimentaire : évolution des concepts et recommandations (2015).
[7] Ces pédiatres très proches de l’industrie laitière.

 

Chronique parue dans le n° 63 de Grandir autrement, mars 2017.

 

Voir aussi la présentation que j’ai eu l’occasion de faire pendant la SMAM 2017 :
conflits-interet-smam-2017

Sur le site de LLL France, Recommandations concernant les aliments de sevrage et intérêts commerciaux.

‘The second mother’: How the baby food industry captures science, health professions and civil society in France
« La deuxième mère » : comment l’industrie de l’alimentation infantile capture la science, les professions de santé et la société civile en France.
Pour la version française, aller tout en bas à « Supporting information », c’est le troisième fichier.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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