La fessée, non ! Les caresses, oui !

La fessée, non ! Les caresses, oui !

Il paraît que caresser les bébés, c’est bon pour leur santé psychique future. Étonnant, non ?! Mais pourquoi faut-il toujours des études pour démontrer l’évidence ?


Je suis toujours étonnée de voir à quel point nous avons aujourd’hui besoin d’études pour démontrer des choses qui relèvent du simple bon sens. En voici encore un exemple récent : une étude anglaise [1], réalisée sur un peu moins de 300 mères, a montré que les bébés qui avaient été caressés les premières semaines de leur vie s’en tirent mieux plus tard !
Plus précisément, il s’agissait de bébés dont la mère avait vécu des stress (violences psychologiques de la part de leur partenaire) pendant la grossesse. Or, on sait par d’autres études [2] que ces stress subis par la mère peuvent engendrer chez l’enfant des problèmes comportementaux et des troubles émotionnels, et ce sur une longue période. Il semble en effet que le stress subi pendant la période périnatale réduise l’activité des gènes qui influencent la réponse au stress plus tard dans la vie, et donc la capacité de l’enfant à gérer celui-ci.
L’étude concernait des femmes recrutées à 20 semaines de grossesse et qui, à 32 semaines, rapportaient des violences psychologiques de la part de leur partenaire. Elles ont ensuite été interrogées à cinq et neuf semaines après la naissance à propos de la fréquence à laquelle elles caressaient leur bébé.
Quand elles ont été revues avec leur bébé à 7 mois, on a observé que les émotions chez l’enfant associées à la peur (notamment la peur des événements non familiers, comme l’approche de personnes inconnues) et à la colère (en réaction à la contrainte comme lorsqu’on le met dans un siège auto), ainsi que la réponse de son rythme cardiaque au stress,  changeaient selon le nombre de caresses que la mère lui avait prodiguées au cours des premières semaines sur le visage, le dos, les bras et les jambes… Les caresses avaient modifié l’expression des gènes !
« Nous suivons actuellement les enfants pour voir si les caresses données en début de vie continuent de faire une différence en ce qui concerne leur développement à long terme », a déclaré le Dr Helen Sharp (Institute of Psychology, Health and Society de l’université de Liverpool). « L’objectif est de déterminer si nous devrions recommander aux mères qui ont subi des stress pendant leur grossesse de caresser leur bébé après la naissance. »
À quand des ordonnances de pédiatres prescrivant tant de minutes de caresses et tant de câlins par jour ?!
Cela changerait en tout cas des conseils encore donnés par certains [3], comme ce prêcheur américain du Tennessee qui, dans un livre coécrit avec sa femme [4], préconise d’éliminer les « pulsions égoïstes » (sic) des bébés de 6 mois en les frappant avec une cuillère en bois ou un « tuyau flexible », conseil dont on pense qu’il a sans doute entraîné la mort de trois enfants sous les coups et mauvais traitements de leurs parents…
Plus sérieusement, quand arrêtera-t-on de soupçonner les mères d’être « trop » aimantes, « trop » maternantes, « trop » fusionnelles, alors que l’on sait, comme l’a montré l’étude de J. Maselko [5] parue en 2011 (encore une étude…) que ce sont les enfants qui, à 8 mois, avaient bénéficié d’un niveau d’affection maternelle qualifié par les psys de « caressing » voire d’« extravagant » qui avaient, à la trentaine, les niveaux d’anxiété, d’agressivité et de mal-être les plus bas (voir le détail de l’étude ci-dessous) ?

 

[1] Sharp H et al., Frequency of Infant Stroking Reported by Mothers Moderates the Effect of Prenatal Depression on Infant Behavioural and Physiological Outcomes, PLOS ONE 2012 ; 7(10) : e45446.
[2] Par exemple celle-ci : O’Connor TG et al., Maternal antenatal anxiety and behavioural/emotional problems in children: a test of a programming hypothesis, J Child Psychol Psychiatry 2003 ; 44 : 1025-36.
[3] Un petit florilège édifiant : http://www.slate.fr/story/65949/pires-conseils-jeunes-parents
[4] To Train Up a Child, que l’on pourrait traduire par : Entraîner (ou former) un enfant.
[5] Maselko J et al., Mother’s affection at 8 months predicts emotional distress in adulthood, J Epidemiol Community Health 2011 ; 65(7) : 621-625. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3118641/

 

Cette chronique est parue dans le n° 41 de Grandir autrement.

 

Pour l’étude de J. Maselko et al., menée auprès de 482 personnes dans l’État américain de Rhode Island, les chercheurs ont comparé des données sur la relation de bébés de 8 mois observés avec leur mère dans les années 1960, et leur fonctionnement émotionnel, mesuré par des tests, à l’âge de 30 ans, dans les années 1990. Ils voulaient ainsi vérifier la notion admise que des liens affectifs forts dès la petite enfance fournissent une base solide pour rebondir face aux problèmes de la vie. Les études menées jusqu’à maintenant reposaient sur des souvenirs d’enfance et non sur une étude prospective menée à partir des débuts de la vie.
La qualité de l’interaction des bébés avec leur mère à l’âge de 8 mois a été évaluée par un psychologue, qui a noté les réactions d’affection et d’attention de la mère quand le bébé était soumis à des tests de développement, et sa réaction à sa performance. Le classement – datant des années 1960 – allait de « négatives » à « excessives » (en anglais, « extravagant » !), en passant par « normales » et « chaleureuses ». Dans près d’un cas sur dix, le psychologue avait noté un bas niveau d’affection maternelle vis-à-vis du bébé. Dans 85 % des cas, le niveau d’affection était « normal » ou « chaleureux », et élevé (« extravagant » ou « caressing ») dans 6 % des cas.
Les personnes ont été testées environ trente ans plus tard, sur la base d’une liste de symptômes révélateurs d’anxiété, de détresse émotionnelle, d’agressivité et plus globalement de mal-être. Quel que soit le milieu social, il a été constaté que ceux à qui les mères avaient manifesté le plus d’affection (qualifiée d’« excessive » par le psychologue des années 1960…) quand ils avaient 8 mois avaient les niveaux d’anxiété, d’agressivité et de mal-être les plus bas. La différence était de 7 points pour l’anxiété par rapport aux autres, de plus de 3 points pour l’agressivité et de 5 points pour le mal-être. Il n’y avait pas de différence entre les enfants ayant reçu un niveau d’affection bas et ceux ayant reçu un niveau normal…
Les auteurs de l’étude pensent que ces résultats s’expliquent sans doute, au moins en partie, par l’ocytocine, secrétée en bien plus grande quantité, on le sait, en cas de maternage « extravagant » !

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

1 commentaire

  1. Pachamaman

    Il y a encore du chemin à faire quand je vois ce matin un article d’Europe 1 sur Facebook d’un père qui donne la fessée à son enfant et qui le vit bien, et tout le monde qui commente des choses comme « enfin un qui assume de donner une vraie éducation » « au moins ça ne fera pas un enfant roi »… je suis fatiguée de cette supériorité que s’octroie les adultes sur les enfants, et pire quand il y a de la violence.. les gens manquent cruellement d’informations c’est bien dommage, j’espère qu’un jour ils sauront remettre en question leurs vieilles idées.
    Et ce genre d’études n’aide pas non plus visiblement puisqu’il faut encore prouver au monde par des faits scientifiques que câliner son enfant est normal !!
    Bon, allez, restons positifs quand même pcq là il y a de quoi perdre la tête haha

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