Allaiter, ça ne devrait pas faire mal !

Allaiter, ça ne devrait pas faire mal !

Extrait de Les 10 plus gros mensonges… sur l’allaitement (éditions Dangles, 2006)

Combien de femmes disent : « J’ai dû arrêter très vite d’allaiter, ça faisait trop mal », « mes mamelons étaient en sang », « pendant plusieurs semaines, j’ai serré les dents à chaque tétée »…
De quoi effectivement effrayer bien des futures mères qui entendent ces récits !
Il ne s’agit pas ici de nier la douleur, bien réelle, de ces femmes. Mais de dire qu’elle était, le plus souvent, évitable ou curable. Et qu’en règle générale, un allaitement bien conduit ne doit pas faire mal.
Même si une sensibilité douloureuse est relativement fréquente les tout premiers jours, cela ne doit pas continuer au-delà, ni atteindre un niveau d’intensité tel que la mère appréhende le moment de la tétée.
Si ça fait mal, c’est que quelque chose ne se passe pas correctement, et qu’il faut rapidement rechercher ce quelque chose pour le corriger [1]. Dire, comme on l’entend encore parfois, « c’est normal d’avoir mal, attendez que ça passe » est à la fois cruel, faux (il est assez rare que ça s’arrange tout seul [2]), contreproductif [3], et relève essentiellement de l’incompétence de la personne qui le dit (faute de formation adéquate, elle ne connaît ni les causes de la douleur ni les moyens de la soulager).

Gerçures et crevasses des mamelons

Il fut un temps – pas si lointain – où les gerçures et crevasses des premiers jours d’allaitement étaient considérées avec fatalisme. Si une femme avait des douleurs de mamelons, c’est qu’elle avait la « peau fragile » (celle des rousses étaient particulièrement incriminée), ou bien qu’elle n’avait pas bien « préparé » ses seins pendant la grossesse [4].
Et puis, vers la fin des années 1970, plusieurs femmes, aux quatre coins du monde, firent chacune de leur côté la même constatation. L’une d’elles, Kittie Frantz, qui avait alors une consultation d’allaitement à Los Angeles, explique : « Dans cette consultation, j’avais remarqué que les femmes qui avaient les mamelons douloureux ne tenaient pas leur bébé de la même façon que celles qui n’avaient pas mal. J’ai commencé à dire à celles qui avaient mal : “Pourquoi n’essayez-vous pas de tenir votre sein comme ceci et le bébé comme cela ?”, et elles me disaient : “Comme ça, je n’ai pas mal ! ” J’étais assez emballée. »
Cette explication toute simple aux douleurs de mamelons (une mauvaise position du bébé au sein, une mauvaise position de sa bouche, de ses lèvres, de sa langue…) a mis du temps à être connue, mais elle est maintenant admise par tous. Une analyse systématique de la littérature sur le sujet entre 1983 et 2004 [5] a conclu que le facteur le plus important pour prévenir l’apparition de ces douleurs était bien d’informer sur la bonne façon pour le bébé de prendre le sein en bouche [6].
Si, malgré tout, la crevasse est là, en plus de trouver et supprimer sa cause (c’est-à-dire, le plus souvent, rectifier la façon dont le bébé prend le sein), il est important de la soigner. Pour cela, le mieux est d’y appliquer ce que, en dermatologie, on appelle un pansement humide, qui permet une cicatrisation sans croûte : soit avec de la lanoline purifiée [7], soit avec des compresses imbibées de colostrum ou de lait maternel [8], toutes choses qui ont l’intérêt supplémentaire d’être non toxiques pour le bébé allaité.

La candidose mammaire

Quand on a mal alors que manifestement la position du bébé au sein est correcte, il faut penser à la candidose mammaire, malheureusement encore peu connue des professionnels de santé, et donc mal diagnostiquée et mal traitée.
Provoquée par le Candida albicans, elle provoque une douleur intense au niveau des mamelons, puis à l’intérieur du sein quand elle « remonte » le long des canaux lactifères. Les femmes décrivent la douleur comme une brûlure, un élancement rayonnant…, qui persiste entre les tétées, contrairement à celle provoquée par une mauvaise succion du bébé. Les mamelons peuvent être irrités, avoir un aspect rose luisant, être le siège de démangeaisons.
Une seule solution : traiter simultanément la mère et le bébé (sans arrêter l’allaitement, évidemment) avec un antifongique [9]. S’il s’agit bien d’une candidose, le soulagement est rapide (même si le traitement doit être poursuivi plus longtemps).

Quelques autres causes de douleurs

Je citerai, sans rentrer dans les détails, d’autres causes possibles de douleurs de mamelons : vasospasme du mamelon, une variante du syndrome de Raynaud [10] ; réflexe de morsure du bébé (problème neurologique) ; frein de langue trop court, qui empêche le bébé de bien positionner sa langue en gouttière sous le sein [11] ; frein de lèvre supérieure qui empêche celle-ci de bien se retrousser ; mauvais tire-lait [12] ou mauvaise taille de téterelle…

Douleurs de seins

Les douleurs peuvent ne pas se limiter aux mamelons, mais affecter l’intérieur du sein. Là aussi, les causes peuvent être nombreuses (engorgement, douleurs musculaires dues à une mauvaise posture de la mère pendant la tétée, mastite due à un canal lactifère bouché ou à une infection, abcès du sein, spasme du canal lactifère, adhérences dues à des cicatrices de chirurgie mammaire, poids d’une poitrine très volumineuse, mastose sclérokystique…), mais la plupart des cas se résolvent facilement une fois la cause détectée et soignée.
La cause la plus répandue, la mastite aiguë (qu’on appelle à tort lymphangite chez nous), est due le plus souvent à un mauvais « drainage » du sein ou d’une partie du sein. Des tétées fréquentes, du repos et des applications froides ou chaudes (en fonction du soulagement ressenti) suffisent le plus souvent à en venir à bout. Si ces mesures simples n’ont pas amené de guérison ou de nette amélioration dans les 24 heures, il sera utile de consulter un médecin [13].

Est-ce que ça abîme les seins ?

L’érotisation du sein en Occident et l’accent mis sur la beauté du corps provoquent un autre obstacle à l’allaitement : la crainte de voir ses seins abîmés. D’autant que les rares scènes d’allaitement diffusées par les médias sont très souvent celles de mères africaines aux seins flasques et pendants, vivant dans des zones où sévit la famine.
En fait, tous les spécialistes sont d’accord pour dire que ce qui abîme les seins, ce sont les changements brusques de volume, donc essentiellement l’accroissement en début de grossesse, un engorgement les premiers jours, un sevrage brutal [14]
Pour éviter cela, une bonne conduite de l’allaitement avec mise au sein précoce, tétées nombreuses les premiers jours, sevrage en douceur, est primordiale. Et, surtout en cas de seins lourds et volumineux, un bon soutien-gorge d’allaitement qui soutienne sans comprimer.

Si je devais résumer en quelques mots, je dirais que le secret d’un allaitement heureux, c’est des tétées fréquentes avec un bébé qui prend bien le sein en bouche. Le bébé est heureux, car cela répond à ses besoins. Les seins sont heureux, car cela leur évite crevasses, engorgements, canaux lactifères bouchés, mastites… La mère est heureuse, car elle répond aisément et sans douleur aux besoins de son bébé.
L’allaitement, ça se fait à deux, et on a pu parler d’une « danse de l’allaitement » où les deux partenaires s’adaptent l’un à l’autre. Au début, il est possible qu’un des deux marche quelquefois sur les pieds de l’autre, mais très vite, ils vont apprendre à « danser » harmonieusement, sans douleur et pour leur plus grand bonheur.

 

[1] Même s’il existe un certain nombre de cas rebelles à toute explication et à toute prévention.
[2] Disons plutôt qu’un certain nombre de ces problèmes s’arrangeraient peut-être tout seuls avec le temps, mais la douleur est telle que la plupart des femmes ont abandonné l’allaitement avant.
[3] On a pu montrer que la douleur et la peur d’avoir mal aggravent le problème : la prise du sein par le bébé en est rendue encore moins bonne (Thorley V, Latch and the fear response : overcoming an obstacle to successful breastfeeding, Breastfeeding Review 2005 ; 13(1) : 9-11).
[4] Il existe encore malheureusement des séances de « préparation » à l’allaitement où l’on conseille aux femmes enceintes de « tanner » leurs bouts de sein, de les « préparer » à coup de jus de citron, d’alcool glycériné et de brosse à dents… (voir dans le DVD Allaiter : une relation fondamentale, collection A l’aube de la vie, Erès, 2004, qui contient heureusement de très bons moments par ailleurs : interviews de Boris Cyrulnik, T. Berry Brazelton, Daniel Stern, Marie Thirion, etc.).
[5] Morland-Schultz K, Hill PD, Prevention of and therapies for nipple pain : a systematic review, J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 2005 ; 34(4) : 428-37.
[6] Pour plus de détails sur les positions d’allaitement, voir sur le site de LLL France Comment se positionner pour allaiter.
[7] Purifiée pour éliminer les composants de la lanoline pouvant entraîner une réaction allergique.
[8] Kauffmann-Huysmans K, Soins des crevasses du mamelon dans les débuts de l’allaitement par le colostrum et le lait maternel : une solution à portée de main, Dossiers de l’allaitement 2005 ; 62 : 5-8.
[9] Voir Candidose mammaire, Allaiter aujourd’hui n° 57, 2003.
[10] Vasospasme du mamelon. Le traitement consiste à garder les seins au chaud, à éviter tout ce qui peut avoir un effet vasoconstricteur, et à prendre éventuellement un traitement médicamenteux.
[11] Freins de langue, freins de lèvre : des freins à l’allaitement, Allaiter aujourd’hui n° 95, 2013.
[12] Une seule solution : changer de tire-lait. Un tire-lait, manuel ou électrique, qui fait mal est par définition un mauvais tire-lait (souvent inefficace, par-dessus le marché).
[13] Doté si possible d’une bonne formation en allaitement, et donc capable de faire le bon diagnostic et de proposer un traitement adéquat. Trop souvent, le conseil donné est d’arrêter l’allaitement, ce qui à la fois inutile et dangereux, dans la mesure justement où la mastite vient d’un défaut de drainage du sein (voir les recommandations de l’ANAES sur le sujet).
[14] Comme dit France Guillain (L’allaitement. 100 questions-réponses pour que ça marche, La Plage éditeur, 2001), dans ce cas « vous mettez [vos seins] dans la situation d’une voiture qui passerait brutalement de la cinquième vitesse à la marche arrière ».

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

2 commentaires

  1. Lise

    Bonjour, article intéressant et très complet ; mais qui semble dire que la douleur est évitable et résorbable en sachant comment agir. Ce qui n’est pas toujours vrai…

    Pour parler de mon cas, après un accouchement difficile, j’allaite depuis 7 semaines. 7 semaines de douleur constante. Plus ou moins intense. Jusqu’à avoir l’impression que ma fille me coupe les mamelons au cutter et vouloir l’arracher de mes seins pleurant et criant de douleur.
    Je suis tombée sur des gens plus ou moins compétents. J’ai entendu beaucoup de phrases que je viens de lire. Jusqu’à ce que je rencontre une sage femme conseillère en allaitement qui a été géniale et m’a vraiment aidée.

    Ma peau fragile de blonde et mes crevasses qui ne cicatrisaient pas bien n’y étaient pas pour grand chose et j’avais beau essayer toutes les astuces pour guérir mes seins, j’avais toujours très mal.
    Elle m’a effectivement bien aidée concernant la posture de bébé. Mais elle m’a aussi permis de comprendre que je cumulais frein de langue court pour ma petite et vasospasmes. Moralité certains allaitement sont voués à être douloureux, sauf si je prends des médicaments et que je fais opérer la petite (deux solutions inenvisageables pour moi). C’est difficile mais je m’accroche car je sais que c’est le mieux pour elle.

    Courage à toutes les mamans qui souffrent.
    Adressez-vous à des associations pour rencontrer des gens compétents.
    Ça ne solutionne pas tout, mais ça aide beaucoup et on se sent moins démunie.

  2. Claude Didierjean-Jouveau

    Quel courage d’avoir allaité si longtemps avec ces douleurs avant d’avoir un diagnostic (vous avez vu que dans mon article, je parle du vasospasme et du frein de langue court ?). Si votre bébé a bien un frein de langue court, cela peut valoir la peine de le faire couper, pas seulement pour éviter la douleur lors des tétées.
    Allez voir la page sur le sujet sur le site LLL : https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/allaiter-aujourd-hui-extraits/1679-aa-95-freins-de-langue-freins-de-levre-des-freins-a-lallaitement
    Et sur le vasospasme : https://www.lllfrance.org/vous-informer/votre-allaitement/surmonter-les-obstacles/1313-vasospasme-du-mamelon

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