Pour tous les enfants volés, et leurs parents

Pour tous les enfants volés, et leurs parents

Militer contre la violence éducative ordinaire, les maltraitances quelles qu’elles soient, pour le maternage proximal, la parentalité positive, la parentalité créatrice, ou tout autre nom qu’on lui donne, ne doit pas faire oublier que la violence contre les enfants ne s’exerce pas seulement au sein de la famille, qu’il existe aussi une violence d’État contre les parents « pas dans la norme » et leurs enfants.

Au nom de l’ordre et de la morale

Violence qui, au cours des cinquante dernières années (pour se limiter à elles…), s’est exercée à de multiples reprises et dans plein d’endroits différents.
Récemment, deux documentaires me l’ont rappelé.
Le premier [1] parle de la RDA où, de 1949 à 1989, on estime que plus de dix mille garçons et filles de 0 à 7 ans ont été enlevés à leurs familles (le plus souvent des mères célibataires ou des gens considérés comme « asociaux » par le régime) pour être placés dans des foyers ressemblant parfois davantage à des goulags pour mineurs, ou pour être adoptés par des couples membres du parti.
Le second [2] parle de la Suisse où, entre 1940 et 1980, des notables, s’octroyant le droit de juger les mœurs de leurs concitoyens, ont séparé des milliers d’enfants de leurs parents considérés comme inaptes à s’occuper d’eux parce que « fille-mère », « trop jeune », « ivrogne », « déficient mental » ou « fainéant ». Enfants envoyés dans des familles d’accueil, des orphelinats, des exploitations agricoles, des centres de rééducation, voire des pénitenciers… où, bien sûr, ils subissaient presque à coup sûr des mauvais traitements.

« C’est pour ton bien »…

Ce qui est d’autant plus ironique que c’était officiellement fait « pour le bien » des enfants, à qui on évitait ainsi d’être élevés par des parents incompétents. Dans le documentaire sur l’Allemagne de l’Est, Helga Labs, dernière ministre de l’Éducation de la RDA, continue à soutenir mordicus que c’était une chance pour les enfants que d’être ainsi enlevés à leurs parents et confiés à de « bonnes » familles.
Ces deux documentaires m’ont hélas rappelé bien d’autres cas similaires.
Le cas de tous ces enfants enlevés à leurs parents par les services sociaux britanniques, évoqués dans le film de Ken Loach Lady Bird (et ça continue : voir le documentaire Les enfants volés d’Angleterre, passé sur France 5 le 15 novembre 2016)
Le cas de tous ces enfants d’Aborigènes australiens – souvent des métis avec un père blanc – enlevés de force à leurs parents par le gouvernement australien de 1909 jusque vers 1969 [3].
Le cas de plus de 1 600 enfants réunionnais là aussi enlevés à leurs parents parce que soi-disant abandonnés, et envoyés pour repeupler les départements touchés par l’exode rural, en premier lieu la Creuse [4]. Comme l’écrit Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo [5] : « L’opération a été un échec : dépressions, suicides, alcoolisme, échec scolaire et social massif, ont été autant de réponses à cette politique aveugle de la part d’individus victimes de solitude et de racisme. »
Et dans tous ces cas, on retrouve les mêmes résultats : des parents qui souffrent, des enfants qui souffrent et qui, devenus adultes, sentent que quelque chose cloche dans leur histoire, même s’ils ne savent pas consciemment quoi.
Le cas le plus extrême étant sans doute ces enfants de militants d’extrême-gauche argentins adoptés par les militaires [6]. Être élevé par ceux qui ont assassiné vos parents, y a-t-il quelque chose de plus horrible ?

 

[1] RDA, le mystère des enfants volés, réalisé par Gadh Charbit et Anne Véron.

[2] Au nom de l’ordre et de la morale, réalisé par Bruno Joucla. Sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=slR9r8bNX9I

[3] Voir sur Wikipédia Générations volées.

[4] Voir sur Wikipédia Les enfants de la Creuse.

[5] Les « déportés » de la Creuse : le dévoilement d’une histoire oubliée, Itinéraires 2009 ; 2 : 47-64.

[6] Voir sur Wikipédia Affaire des enfants volés sous la dictature argentine.

 

Cette chronique est parue dans le numéro 60 de Grandir autrement.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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