Conditions d’accouchement et débuts d’allaitement

Conditions d’accouchement et débuts d’allaitement

L’un des dix concepts qui forment la « philosophie » de La Leche League dit que « la participation consciente et active de la mère pendant l’accouchement favorise un bon démarrage de l’allaitement, en consolidant le couple mère-enfant ».
Depuis plus de cinquante ans que ce concept a été élaboré, les femmes ont gagné en « conscience » (elles n’accouchent plus « dans les vapes », comme c’était systématiquement le cas dans l’Amérique des années 1950), mais pas tellement en « activité », tant le nombre de gestes médicaux auxquelles on les soumet s’est multiplié au cours du temps.
Nombre de femmes refusent ces interventions, qu’il s’agisse du déclenchement, de la péridurale, de l’aspiration gastrique, etc., et souhaitent un accouchement le plus naturel et physiologique possible, élaborant pour ce faire un « projet de naissance » dont elles discutent avec l’équipe médicale. Malheureusement, il arrive régulièrement que les choses ne se passent pas comme on l’avait espéré.

Quand la médicalisation de la naissance gêne les débuts de l’allaitement

Or beaucoup de ces gestes médicaux, les études l’ont montré, peuvent gêner un bon démarrage de l’allaitement.
Quelques exemples ?
Prenons d’abord la péridurale. D’après certaines études, elle semble ne pas être sans conséquence sur l’état du bébé, sur ses capacités de coordination succion-déglutition-respiration et donc sur le démarrage de l’allaitement [1]. Une étude faite en 2006 sur plus de 1 200 femmes australiennes [2] a montré que celles qui avaient accouché sous péridurale avaient plus de difficultés d’allaitement dans les tout premiers jours suivant la naissance et deux fois plus de risques d’arrêter l’allaitement au cours des six premiers mois. Sans démontrer de façon sûre que la péridurale est en elle-même la cause de cet état de fait, l’étude montre que les femmes qui ont accouché sous péridurale ont besoin d’un soutien accru en matière d’allaitement.
Quid maintenant de l’ocytocine ? Une étude toute récente [3] a constaté que l’administration d’ocytocine en perfusion pendant le travail semble avoir un impact négatif sur les réflexes primitifs liés à l’alimentation (succion et déglutition), ainsi que sur l’allaitement dans la durée. Une étude précédente [4] avait montré que cela avait un effet négatif sur la sécrétion endogène d’ocytocine pendant la tétée à J2.
Venons-en maintenant à l’aspiration gastrique, faite encore quasiment systématiquement dans les maternités françaises. On sait qu’elle peut perturber les réflexes qui amèneront le bébé à prendre le sein, voire provoquer une aversion orale, lui faisant rejeter tout ce qui est proche de sa bouche, voire à l’intérieur, dont le sein. Toutes les recommandations récentes en matière d’allaitement déconseillent l’aspiration systématique ou la retardent après la première tétée [5].
Et bien sûr, pendant qu’on s’active sur lui, le bébé se refroidit (un nouveau-né perd 1/10 de degré par minute dans une pièce à 20°). Au lieu de le laisser tranquillement sur le corps de sa mère sous une couverture, on l’habille et… on le met deux heures dans une isolette « pour qu’il se réchauffe ». Quand on sait que le réflexe de succion d’un bébé né à terme et en bonne santé atteint habituellement un point culminant 20 à 30 minutes après l’accouchement, et que si on laisse passer ce moment propice, il peut être diminué pour les 36 heures suivantes, on mesure les conséquences de cette mise en isolette sur le démarrage de l’allaitement…

Un démarrage tout en douceur

Sans tous ces gestes, voici comment les choses peuvent se passer. Claire raconte : « Notre troisième garçon est né trois jours après terme, après une grossesse normale et sans difficultés. Pas de déclenchement cette fois, un accouchement eutocique sans péridurale. Tout de suite, la sage-femme a déposé notre garçon sur mon ventre en peau à peau, il y est resté pendant au moins une heure. J’ai cette heureuse impression d’avoir été présente à tous les temps de l’accouchement, vivant l’accueil de notre enfant de manière plus active. Après ces précieux et émouvants instants de première rencontre, il y a eu la première mise au sein. Avec un arrêt de trois mois dans l’allaitement, je vivais une sorte de continuité dans l’allaitement de nos trois garçons. D’ailleurs, ce dernier s’est vite mis en route. Notre troisième bébé se débrouillait aussi bien que ses deux grands frères. Le lendemain de sa naissance, il perdait du poids, mais le surlendemain, il amorçait déjà une remontée de poids, et le jour suivant, il dépassait son poids de naissance. »

Accompagner, atténuer

Est-ce à dire que si l’on n’a pas eu un accouchement 100 % naturel, l’allaitement est fatalement compromis ?
Non, bien sûr. Comme l’écrivent Diane Wiessinger, Diana West et Teresa Pitman, co-auteures de la huitième édition de L’Art de l’allaitement maternel, « quelle que soit la façon dont s’est passée la naissance, la plupart des mères et des bébés arrivent à allaiter ».
Mais peut-être faudra-t-il, dans ce cas, un meilleur accompagnement des tout débuts de l’allaitement, afin d’atténuer les éventuels effets nocifs des gestes pratiqués. Ainsi, après une césarienne, les débuts peuvent être retardés et plus laborieux, et la nouvelle mère aura particulièrement besoin de soutien pour son projet d’allaitement.
Malheureusement, les équipes de maternité ne sont pas toujours bien formées pour dispenser cet accompagnement…
Si la naissance ne s’est pas déroulée de la façon dont elle « aurait dû » se passer, et que ni le bébé ni la mère n’ont bénéficié des gestes et des hormones qui aident à ce que l’attachement se fasse immédiatement et que l’allaitement démarre sans problème, un certain nombre de pratiques peuvent aider à remettre les choses sur les rails.
Tout d’abord, garder le bébé avec soi 24 h sur 24, le plus possible en peau à peau, dans la position BN (Biological Nurturing) où mère et bébé sont complètement détendus et confortables et où le bébé est « en situation » de prendre le sein quand il est prêt à le faire [6].
On peut aussi prendre un bain chaud avec le bébé. Dans son ouvrage Complementary and Alternative Medicine in Breastfeeding Therapy, la consultante en lactation américaine Nikki Lee parle de ce « bain réparateur » (remedial co-bathing) décrit à l’origine par la sage-femme australienne Heather Harris comme un moyen « high-touch and low-tech » de réparer le lien entre la mère et son bébé après un accouchement difficile et un mauvais démarrage de l’allaitement.
Et puis savoir que si le bébé ne prend pas le sein ou le prend mal, c’est temporaire. Contrairement à ce qu’on avait dit à une mère de ma connaissance dans une maternité parisienne, l’allaitement n’est pas « foutu » s’il n’a pas bien démarré dans les trois premiers jours ! Avec de la patience et éventuellement l’aide de personnes compétentes, la plupart des bébés finissent par y arriver.

Ça vaut la peine de se battre

Cela dit, les conditions de l’accouchement et des suites de couches influençant pas mal ce que va être la relation mère-enfant [7], à commencer par l’allaitement, cela vaut la peine de lutter pour l’amélioration de ces conditions ! Rappelons qu’en mai 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé (jurisprudence Ternovsky) que « le droit relié à la décision de devenir un parent inclut le droit de choisir les circonstances entourant le devenir parent », et donc les conditions de l’accouchement, et que cette jurisprudence s’applique dans tous les pays de l’Union Européenne [8].

 

[1] Voir notamment Needs J, Suckling, swallowing and breathing : the effects of pethidine epidurals, et Smith A, Pilot study investigating the effect of pethidine epidurals on breastfeeding, Conference of Australian Lactation Consultant Association, Aug 1996, Breastfeeding Review, May 1997, 40. Et aussi : Walker M, Do labor medications affect breastfeeding ?, J Hum Lact 1997 ; 13(2) : 131-7.
[2] Torvaldsen S, Intrapartum epidural analgesia and breastfeeding: a prospective cohort study, Int Breastfeeding J 2006 ; 1 : 24.
[3] Olza Fernández I et al., Newborn feeding behaviour depressed by intrapartum oxytocin: a pilot study, Acta Paediatr 2012 ; 101(7) : 749-54.
[4] Jonas W et al, Effects of intrapartumoxytocin administration and epidurl analgesia on the concentration of plama oxytocin and prolactin, in response to suckling during the second day postpartum, Breastfeed Med 2009 ; 4(2) : 71-82.
[5] Voir notamment, de la Haute autorité de santé, Favoriser l’allaitement maternel, 2006, page 24.
[6] Voir sur le site de Suzanne Colson et son livre L’allaitement instinctif. Biological nurturing.
[7] À lire les témoignages contenus dans Tremblements de mères. Le visage caché de la maternité (éditions L’Instant présent, 2010), on se rend compte que pour beaucoup de ces femmes ayant souffert de « difficulté maternelle », les conditions d’accouchement et/ou de suites de couches avaient été particulièrement déplorables.
[8] Le droit des femmes à choisir les circonstances de devenir parent.

 

Cet article est paru dans un hors-série de Grandir autrement sur la naissance respectée.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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