Pourquoi les femmes qui allaitent trouvent que leur bébé pleure plus ?

Pourquoi les femmes qui allaitent trouvent que leur bébé pleure plus ?

Pour en finir avec l’idée que « les bébés allaités pleurent plus que les autres », faisons un point sur les dernières études qui mettent en lumière la relation entre allaitement, pleurs et sensibilité maternelle.

En janvier 2012, une étude parue dans la revue scientifique en ligne PLoS ONE [1] a fait quelque bruit dans les médias britanniques, mais aussi français : le site de L’Obs en rendait compte le jour même sous le titre « L’allaitement rend-il les bébés capricieux ? » Selon cette étude, les bébés allaités pleureraient davantage, souriraient et riraient moins, seraient plus instables émotionnellement et plus longs à apaiser, et auraient globalement un tempérament plus difficile que les bébés nourris au biberon.
Comme l’allaitement reste néanmoins ce qu’il y a de mieux pour les bébés, les auteurs de l’étude concluaient que pour empêcher un abandon rapide de l’allaitement et un recours au biberon, avec le risque de suralimenter l’enfant, il fallait informer les parents de la dynamique de l’allaitement, de ce qu’est le comportement normal d’un bébé et leur fournir un soutien dans leur parentalité.
Suggestions tout à fait louables ! Mais qui reposent sur l’idée que oui, les bébés allaités sont plus difficiles. Or un examen plus attentif de l’étude montre que ce n’est pas ce qu’elle dit. En effet, portant sur un peu plus de trois cents bébés britanniques âgés de 3 mois, répartis en trois groupes (bébés exclusivement allaités, bébés exclusivement nourris au biberon, bébés en allaitement mixte), elle n’a nullement consisté à observer lesdits bébés pour mesurer la durée des pleurs, le nombre de sourires, etc. Elle repose uniquement sur des questionnaires remplis par les mères, qui devaient apprécier le comportement de leur bébé sur des échelles.

Et si on posait la question autrement ?

La question à se poser n’est donc pas : pourquoi les bébés allaités pleurent-ils plus ? Mais plutôt : pourquoi les mères qui allaitent trouvent-elles que leur bébé pleure plus ?
La première explication est peut-être tout simplement que, dans nos sociétés, si quelque chose ne tourne pas parfaitement rond chez un bébé allaité, c’est obligatoirement la faute de l’allaitement (et de la mère allaitante), tandis que si un bébé au biberon pleure, eh bien, « tous les bébés pleurent, n’est-ce pas ? » ou c’est la faute à pas de chance. Le sentiment de confiance en soi de la mère, bien atteint dans ce cas, peut avoir un impact majeur sur la façon dont elle perçoit le comportement de son bébé.
La seconde explication, c’est sans doute qu’elles sont plus sensibles aux signaux qu’envoie leur bébé (dont les pleurs) pour communiquer ses besoins, son mal-être, etc., et donc les remarquent davantage. Et sont moins enclines à y répondre en utilisant la sucette, un « étouffe-pleurs » particulièrement efficace.

Une sensibilité accrue

Deux autres études, qui ont comparé des femmes allaitantes et des femmes donnant le biberon, viennent conforter cette hypothèse. La première [2] a trouvé que celles qui allaitaient étaient plus sensibles à l’éventuelle détresse de leur enfant. La seconde [3] a montré, grâce à l’imagerie cérébrale, que le cerveau des femmes qui allaitent répond plus fortement aux cris de leur bébé : les régions liées au comportement de soin et d’empathie s’activent mieux chez elles que chez les femmes qui donnent le biberon.
C’est donc bien parce qu’elles sont plus sensibles aux pleurs de leur bébé que les femmes qui allaitent ont l’impression qu’il pleure davantage. Encore faudrait-il que cela soit connu et expliqué aux mères. Cela éviterait sans doute un certain nombre de sevrages précoces dus au fait que la mère, devant les pleurs du bébé, doute de la qualité et/ou de la quantité de son lait, et pense qu’un biberon « calerait » mieux le bébé et l’empêcherait de pleurer…

 

[1] Lauzon-Guillain, B. de et al., Breastfeeding and Infant Temperament at Age Three Months, PLoS One 2012 ; 7(1) : e29326.
[2] Pearson RM, The impact of breastfeeding on mothers’ attentional sensitivity towards infant distress, Infant Behav Dev 2011 ; 34(1) : 200-5.
[3] Pilyoung K et al., Breastfeeding, brain activation to own infant cry, and maternal sensitivity, Journal of Child Psychology and Psychiatry 2011 ; 52(8) : 907-915.

 

Cette chronique est parue dans le n° 34 de Grandir autrement.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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